A la recherche de mon grand-père

Les débuts

Depuis 30 ans j’effectue des recherches généalogiques sur ma famille. Pour commencer j’ai recensé les informations dont je disposais sur mes parents et mes grands-parents. Pour mon grand-père maternel, Abraham Bacman, mes recherches ont rapidement pris fin.

Ma mère m’a raconté que mes grands-parents ont divorcé en 1951, alors qu’elle n’avait que 9 ans. Malheureusement la séparation a été totale, et aucun contact n’a été conservé entre les deux familles.

J’ai voulu retrouver sa trace, même si je savais qu’il était probablement décédé. Pour cela, j’ai décidé de rechercher le plus d’informations possibles sur le reste de la famille : les parents, les frères et sœurs. En généalogie, la recherche des co-latéraux est un bon moyen de trouver des indices. Mon autre idée étant de trouver un descendant vivant qui pourrait me raconter l’histoire de la famille.

Au cours de ces années de recherche j’ai découvert la richesse des fonds qui existent, que cela soit dans les archives nationales, départementales, ou dans d’autres collections. J’ai procédé également à des recherches historiques pour tenter de comprendre les mouvements de migration.

Les documents familiaux

Le livret de famille de mes grands-parents fut ma première source. Ce document fournit de nombreux renseignements.

Abraham Bacman (Bachmann selon les orthographes) est né le 12 septembre 1901, à Kichineff, dans la région de la Bessarabie, à l’époque comprise dans l’Empire Russe. Kichineff était le nom russe de la ville de Chișinău, actuellement capitale de la république de Moldavie. Ses parents étaient Schiolmi (Salomon) Bacman (décédé au moment du mariage) et Zlata Liblanski.

Je note que mon grand-père avait contracté un premier mariage avec Ida Kytzizki.

Ma grand-mère, Pierrette Tavernier, est née à Paris, de Clémentine Tavernier, mais de père inconnu.

Mes grands-parents se sont mariés à Lyon, le 3 juillet 1948, alors que leur fille, ma mère, avait 6 ans.

L’acte ne le dit pas, mais je savais que mon grand-père et sa famille étaient de religion juive. Ma mère est née en 1942, d’un père juif et Russe, et d’une mère française et de tradition catholique, dans un pays soumis au régime nazi. Cette période a forcément été compliquée.

J’ai ensuite écrit à la mairie de Lyon afin d’obtenir une copie de l’acte de mariage. Pour récupérer le contrat de mariage j’ai recherché sur Internet l’étude qui avait repris la succession de Me Courroye et j’ai demandé une copie. Il faut savoir que les études de notaire ne sont pas tenues de répondre aux demandes des généalogistes amateurs. Quand elles acceptent, le coût de recherche est très variable (de quelques euros à plusieurs dizaines). Alors que le contrat de mariage ne donne aucune information supplémentaire, l’acte de mariage ouvre de nouvelles pistes.

Cet acte permet de situer le domicile de la mère d’Abraham, Zlata, à Lyon 8, rue d’Isly. Un Jacques Bachmann, commerçant, résidant également 8, rue d’Isly, est le témoin. J’ai découvert, plus tard, que Jacques était le frère cadet d’Abraham.

Comme il est indiqué sur l’acte de mariage, mes grands-parents ont divorcé en 1951. J’avais déjà en ma possession le jugement de divorce, expliquant une séparation compliquée. Ma grand-mère a quitté Lyon pour retourner à Paris auprès de sa famille en 1949. Ma mère se rappelle d’avoir revu son père quelques fois à Paris, mais les liens étaient déjà très distants, puis se sont complètement rompus.

Reconstituer l’histoire de la famille

Arrivé à ce stade de mes recherches, je n’ai plus de piste. Pendant plusieurs années j’ai laissé cette branche de côté.

Entre temps, les outils à disposition des généalogistes se sont modernisés. Les archives départementales et nationales sont disponibles en ligne. Les sites de généalogie se développent et mettent à disposition l’indexation des archives permettant la recherche par nom. Ceci a ouvert de nouvelles perspectives, et j’ai décidé de faire des recherches étendues sur la famille Bachmann, pour tenter de retrouver des contemporains vivants.

L’indexation des registres d’état civil proposée sur Filae a été d’une grande aide pour retrouver une partie des mariages des enfants Bachmann, et parfois la naissance de leurs enfants. La famille vivant à Paris, j’ai consulté les actes d’état civil sur le site des archives départementales de Paris, et j’ai reconstitué une fratrie de 9 enfants.

Par chance les actes de mariage mentionnent la date de naissance et le lieu de naissance. Tous les enfants sont nés à Kichinev entre 1885 et 1904. Pourquoi cette famille est venue à Paris ?

En étudiant l’histoire de la Moldavie (merci wikipédia) j’ai découvert que Kichineff avait été le théâtre de pogroms en 1903 et 1905 rendant la situation des juifs compliquée et dangereuse. Je présume qu’ils ont fait le choix de s’exiler en France. Malheureusement sans pouvoir, à ce stade, reconstituer le voyage.

Je me suis donc attaché à suivre la famille Bachmann dans sa vie parisienne, d’abord au travers des actes que j’avais récupérés, ensuite j’ai tenté une recherche sur Google du nom « Bachmann » pour découvrir de nouvelles pistes. J’ai ainsi découvert Gallica, le site de la Bibliothèque Nationale de France. Des journaux sont consultables en ligne avec une recherche plein texte.

J’ai retrouvé l’annonce de plusieurs évènements (mariage, décès, Bar Mitzwa) liés à la famille dans « L’Univers Israélite », un hebdomadaire parisien de la communauté juive. Ceci m’a fait découvrir une famille pratiquante et intégrée à la communauté juive de Paris.

Je me suis ensuite concentré sur la recherche des dates de décès de Salomon et Zlata. Pour Salomon, les actes de mariages de ses enfants permettent de situer son décès entre avril 1924, où il est présent au mariage de son fils Simon, et août 1926, au mariage de Isaac, où il est indiqué que son père est décédé. Mais impossible de trouver l’acte de décès à Paris, et sans autre information je suis dans une impasse.

Pour Zlata, j’ai orienté mes recherches à Lyon à partir de 1948, puisque l’acte de mariage de mes grands-parents la situait dans cette ville à cette époque.

Les généalogistes le savent, les recherches sont plus difficiles dans la seconde moitié du XXème siècle. Les archives disponibles en ligne et indexées sont moins nombreuses. Toutes les archives ne sont pas consultables. En fouillant sur le site des archives de Lyon, j’ai découvert les tables des successions et absences. Ces tables alphabétiques, constituées par les receveurs de l’enregistrement, sont destinées à recenser les « individus décédés ou déclarés absents » en portant la mention et la référence précises des actes relatifs à la succession du défunt.

Dans ces tables j’ai découvert la date de décès de Zlata en 1949. J’ai pris contact avec les conservateurs des cimetières lyonnais pour tenter de retrouver sa sépulture, en vain. En effet, pour les ancêtres les plus proches, il est possible de retrouver, dans le meilleur des cas, les sépultures, et au moins les cimetières où ils ont été inhumés. Cela donne parfois des informations, et permet de rendre concret toutes ces recherches.

La découverte

En parallèle, ma passion pour la généalogie m’a amené à fréquenter les cimetières.

J’utilise Geneanet pour mes recherches et pour stocker mon arbre. Je participe au projet « Sauvons nos tombes » et j’arpente de temps en temps le cimetière parisien de Bagneux qui est situé en face de mon domicile.

Un jour, en relevant une section, je découvre une sépulture Bachmann. Rien d’étonnant, une grande partie des juifs parisiens était enterrée dans ce cimetière. Mais à la lecture du deuxième nom j’ai la certitude qu’il s’agit de ma famille Bachmann. Les noms et les dates concordent ! Imaginez la surprise, et l’émotion à ce moment : j’ai retrouvé la tombe de mes arrière-grands-parents Salomon et Zlata. D’autres membres de la famille y sont également inhumés : Anna et Bernard, deux de leurs enfants, leurs conjoints et un des petits enfants de Salomon et Zlata.

Que d’informations pour compléter mon arbre : de nouvelles personnes, des dates de décès. Et surtout le lieu de décès de Salomon est inscrit dans le registre d’inhumation du cimetière. Ces registres, tenus par les conservateurs, recensent, dans des tables alphabétiques, toutes les inhumations. Depuis peu les registres des cimetières parisiens sont consultables sur le site des archives départementales de Paris.

Salomon est décédé à Gentilly. La consultation des tables décennales des archives du Val-De-Marne me donne la date de décès. Les registres d’état civil n’étant pas numérisés, j’ai effectué une demande de copie qui m’est parvenue rapidement. Ceci m’a permis de retrouver le domicile familial. La consultation des recensements de population de la ville de Gentilly, disponibles sur le site des archives départementales du Val-De-Marne, donne des informations sur leurs enfants.

Notamment dans le recensement de 1926, juste après la mort de Salomon, j’apprends que Zina, qui est veuve, Jacques, Issac, et mon grand-père vivaient avec leur mère. Mon grand-père était, à ce moment, représentant de commerce chez « Petit Jean ».

La shoah

Il est quasiment impossible de faire la généalogie d’une famille juive au XXème siècle sans aborder cette période de l’histoire.

C’est en parcourant les registres de décès de Lyon que j’ai découvert que 2 des enfants Bachmann avaient été arrêtés, puis déportés.

Elise, et son fils Fernand, qui n’avait que 20 ans, ont été arrêtés en juillet 1943, internés à la prison de Montluc puis déportés à Auschwitz.

Isaac a été arrêté en 1944, interné à Montluc, puis à Drancy. En 1956, à la suite d’une enquête, il a été déclaré « décédé par voie judiciaire », le 14 mars 1944, aucune trace de lui n’ayant été retrouvée.

Grâce à l’association des rescapés de Montluc, qui m’a contacté via Geneanet, j’ai appris les circonstances de leur arrestation. Le fond est disponible aux archives municipales de Lyon. Durant un séjour dans cette ville, j’ai visité la prison qui est qui devenu un lieu de mémoire.

Entrée de la prison
Cellule de passage

Pour faire des recherches sur cette période plusieurs sites sont consultables. Le site du Mémorial de la Shoah offre une recherche par individu dans ses fonds. J’ai trouvé les références de plusieurs documents, mais je n’ai pas encore eu le loisir de les consulter sur place.

Le site des archives Arolsen permet également une recherche par nom. Ces archives constituent, avec environ 30 millions de documents, l’une des plus grandes collections du monde de documents relatifs à des victimes civiles du régime national-socialiste. Le fichier central de noms renferme des informations pour près de 17,5 millions d’individus.

Les cartes d’identité

Plusieurs actes récupérés font mention de cartes d’identité, avec des références et des dates. Après quelques recherches, notamment sur l’histoire des cartes d’identités en France, j’ai découvert que des cartes pour les étrangers étaient délivrées. J’ai découvert deux fonds relatifs à ces cartes.

Le fond Moscou, qui a une histoire particulière. En 1940, les forces d’occupation allemandes saisissent des fonds d’archives, dont le fichier central de la sûreté contenant les demandes des cartes d’identité des étrangers. Ces fonds ont été transférés dans les territoires du Reich, puis passèrent aux mains de l’Armée Rouge après la capitulation du régime nazi. Elles ont été conservées pendant plus de 50 ans aux Archives spéciales centrales d’État de l’URSS à Moscou. La chute du bloc soviétique permit leur restitution à la France entre 1994 et 2001. Les archivistes soviétiques ont fait un important travail d’indexation permettant une recherche par nom.

Aux archives nationales, le fichier central de police administrative est consultable. J’ai commencé la recherche des dossiers de demandes de cartes, mais, pour l’instant, sans résultat.

D’autres sources

Pour tenter de retrouver des contemporains vivants, j’ai publié mon arbre sur Geneanet, Filae et MyHeritage. Sur ce dernier site j’ai trouvé deux arbres en lien avec le mien. Une branche Pargamine (la femme de Bernard), et une branche Solovieff (des descendants de Bernard de sa femme). Malgré plusieurs essais, les propriétaires des arbres n’ont jamais répondu à mes demandes de contact.

Pour remonter la généalogie de Salomon et Zlata, j’ai consulté le site JewishGen qui contient un grand nombre de données sur des registres de plusieurs pays, dont la Moldavie. J’ai retrouvé des traces des Bachmann, mais la consultation n’est pas forcément aisée. A partir de ces bases, j’ai retrouvé certains documents sur le site FamilySearch.org, le site de généalogie de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (le fameux site des « mormons » à qui nous devons la numérisation d’une bonne partie de nos archives françaises). Mais la barrière de l’écriture et de la langue représente un petit problème de lecture.

Certains enfants ont établi des contrats de mariage. J’ai écrit aux études des notaires dépositaires de ces archives. Seuls certaines répondent favorablement aux généalogistes amateurs. A Paris, les notaires doivent verser leurs archives au minutier central, disponible aux archives nationales, et consultable via la Salle des Inventaires Virtuelle (SIV). Mais le transfert de ces fonds s’avère parfois compliqué, et n’est donc pas systématique.

Les dossiers de naturalisation

Ces dernières semaines, j’ai entrepris la recherche des dossiers de naturalisation des enfants Bachmann. Grâce à Gallica, par une recherche nominative, il est possible de trouver les décrets de naturalisation publiés au journal officiel. Une fois la date trouvée, il faut rechercher la référence du dossier de naturalisation dans la Salle des Inventaires Virtuelle des archives nationales.. Ensuite il suffit de se rendre sur place, ou bien de faire une demande de reproduction, pour consulter le document.

J’ai reçu le dossier de Bernard Bachmann, il y a quelques semaines. Ce dossier est une mine d’informations. Entre les différents domiciles, la liste des frères et sœurs avec les dates de naissance, les revenus, les emplois.

En épluchant les documents constituants ce dossier, j’ai obtenu de nouvelles informations sur ses frères et sœurs, et notamment sur Haïm, dit Henri. En modifiant sa fiche sur mon arbre Geneanet, je vois apparaitre une correspondance (la petite coche rouge si prometteuse) avec un autre arbre. Je consulte l’arbre et je découvre que le propriétaire de l’arbre est un neveu par alliance de Haïm. J’envoie immédiatement un message à cette personne. Cela est tellement inespéré !

Et ce charmant monsieur, me répond le lendemain. Il est également féru de généalogie, et partage avec moi quelques souvenirs qu’il peut avoir des Bachmann. Mais surtout il est très proche de son cousin Jacques, le fils de Haïm, c’est -à-dire le cousin de ma mère.

Je viens d’arriver à la fin d’une quête généalogique de 30 ans. Et surtout je viens de renouer un lien avec un membre vivant de la famille Bachmann.

Du haut de ses 91 ans, Jacques me raconte des souvenirs, sa vie. Il m’apprend comment les Bachmann sont arrivés à Paris : Ils se sont d’abord rendus en Argentine grâce à la « Jewish Colonization Association » qui aidait des juifs à fuir la Russie pour s’installer comme cultivateurs en Argentine. L’Association est financée par le Baron Hirsch. Le métier de cultivateurs ne leurs convient pas, et ils partent rejoindre Bernard à Paris.

Jacques à quelques souvenir de son oncle Abraham, mon grand-père. Surtout une ballade dans une grosse traction blanche à 100 km/h quand il était enfant dans les années 30.

Et, enfin, Jacques m’apprend que mon grand-père à vécu à Paris après la guerre, et qu’il est inhumé à Châlons-En-Champagne, avec le père et la mère de Jacques. En interrogeant la mairie de Châlons-En-Champagne, je trouve que mon grand-père est décédé à Rabodanges dans l’Orne en avril 1965. Et par un simple mail à la mairie j’obtiens la copie de son acte de décès.

A partir de cet acte, j’apprends que mon grand-père s’est remarié. Grâce au fichier des décès de l’INSEE et au site « match ID » je retrouve la date de décès et de naissance de sa seconde épouse. Une mention dans la marge de l’acte de naissance, que j’ai consulté sur le site des archives départementales de Paris, me donne la date de leur mariage en 1953 à Paris. Et bien sûr j’ai demandé une copie de l’acte que j’attends impatiemment.

Après toutes ces recherches j’ai retracé la vie de mon grand-père. Et surtout j’ai retrouvé un Bachmann vivant qui détient beaucoup de souvenirs. Dès que la situation sanitaire sera meilleure, nous nous sommes promis de nous rencontrer.


J’avais rédigé cet article suite à une proposition de Laurent Monpouet qui offrait une tribune sur son blog GenealogiePratique.fr. Avec son accord je le publie sur GénéaTrip. Je le remercie pour son initiative qui ma donné la motivation d’écrire sur ce sujet.

9 commentaires sur “A la recherche de mon grand-père

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  1. Quel beau travail de recherche ! Une petite coquille, Jacques est le cousin de votre père pas celui de votre mère.
    J’aime beaucoup la présentation de votre mini arbre
    Hâte de lire la suite de vos découvertes

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